Contexte
En général, on diagnostique la SP cyclique chez des personnes âgées de 15 à 40 ans, soit dans une période de la vie où les femmes sont aptes à procréer et à fonder une famille. Il est donc essentiel d’établir dans quelle mesure cette maladie influe sur la grossesse, et vice-versa. Les diverses études qui ont porté sur la grossesse et la SP cyclique sont à la base de deux théories antagoniques : on croyait au début que la grossesse avait des effets négatifs sur l’évolution de la SP cyclique, mais il a été démontré récemment qu’elle pourrait influer positivement sur cette maladie. Précisons toutefois que les études qui visaient à examiner ces deux théories opposées présentaient certaines limites : échantillons de petite envergure, biais d’interprétation et incapacité à évaluer les conséquences à long terme de la grossesse sur la SP.
Une étude dont les résultats ont été publiés dans la revue Annals of Epidemiology avait pour but de recueillir de nouvelles données probantes sur les effets à long terme de la grossesse sur la fréquence des poussées, la progression des incapacités jusqu’à l’irréversibilité et l’évolution vers la SP progressive secondaire (SPPS) chez des femmes atteintes de SP cyclique.
Description de l’étude
Le Dr Igor Karp et ses collaborateurs, notamment Alexandra Manganas de l’Université de Montréal, qui est titulaire d’une bourse d’été de stagiaire de recherche stopSP, ont examiné les dossiers médicaux de femmes âgées de 15 à 50 ans atteintes de SP cyclique qui avaient été admises à la clinique de SP de l’Hôpital Notre-Dame, à Montréal. Ces patientes ont été suivies de 1977 à 2010. Après avoir recueilli leurs données démographiques et cliniques ainsi que des données sur leur mode de vie, les chercheurs ont procédé à une étude de cohorte rétrospective (c’est-à-dire qu’ils se sont penchés sur les événements qui avaient eu lieu durant le suivi). Les patientes retenues ont été classées dans le groupe des femmes non enceintes si elles n’étaient pas enceintes lorsqu’elles ont été admises à la clinique (auquel cas on a analysé les données sur l’évolution de leur maladie à partir de leur admission) ou dans le groupe des femmes enceintes si elles étaient tombées
enceintes après leur admission à la clinique (auquel cas on a analysé les données sur l’évolution de leur maladie à partir de la grossesse).
Plus précisément, l’équipe de recherche a évalué les effets de la grossesse sur la fréquence des poussées, sur l’évolution vers la SPPS et sur la progression des incapacités jusqu’à l’irréversibilité. Les événements qui ont mis fin au suivi étaient les suivants : patiente perdue de vue, progression des incapacités jusqu’à l’irréversibilité, évolution vers la SPPS, seconde grossesse, avortement ou fin de la période d’étude.
Résultats
On a relevé 300 poussées, 15 cas d’évolution vers la SPPS et 11 cas de progression des incapacités jusqu’à l’irréversibilité dans le groupe des femmes enceintes, et 787 poussées, 27 cas d’évolution vers la SPPS et 34 cas de progression des incapacités jusqu’à l’irréversibilité dans le groupe des femmes non enceintes. Ces résultats donnent à penser que la grossesse aurait des effets positifs sur l’évolution à court terme de la SP cyclique, en ce sens qu’elle réduirait la fréquence des poussées et qu’elle ralentirait l’évolution de cette maladie. En revanche, ils indiquent qu’il n’y avait pas de différence entre les femmes enceintes et les femmes non enceintes pour ce qui est de l’évolution de la SP cyclique vers la SPPS à court terme et portent donc à croire que la grossesse accroîtrait en fait le risque d’évolution vers la SPPS à long terme. Il convient toutefois de souligner que cette association est faible compte tenu du nombre limité d’événements enregistrés (elle n’a pas été aussi solidement étayée que les autres résultats de l’étude).
Commentaires
Dans l’ensemble, cette étude indique que la SP a été moins évolutive chez les femmes atteintes de SP cyclique qui étaient enceintes que chez celles qui ne l’étaient pas durant la période étudiée. S’il est vrai que l’on a observé une diminution de la fréquence des poussées et un ralentissement de la progression des incapacités vers l’irréversibilité dans le groupe des femmes enceintes, il reste que ces effets n’ont persisté que durant les premières années à l’étude. À long terme, les caractéristiques de l’évolution de la SP cyclique observées dans les deux groupes sont devenues comparables. Les chercheurs avancent que cette différence entre le court et le long terme s’expliquerait par le fait que la grossesse n’influe pas de la même façon sur les composantes inflammatoire et neurodégénérative de la SP.
Certes, les résultats de cette étude viennent enrichir le corpus de données dont on dispose sur la grossesse en présence de SP, mais il faudra mener d’autres études de recherche de longue durée afin de les valider, puisqu’on ne sait pas très bien quelles sont les conséquences de la grossesse sur la SP après 10 ans.
Référence
KARP I. et coll. « Does pregnancy alter the long-term course of multiple sclerosis? », Annals of Epidemiology, 2014 July; 24(7): 504-508.