Contexte
Il appert de plus en plus que certains facteurs biologiques, génétiques et environnementaux contribuent au risque de survenue de la sclérose en plaques (SP). L’un des plus largement reconnus de ces facteurs concerne le genre (sexe). En effet, l’incidence de la SP chez les femmes est trois fois supérieure à celle des hommes, et cette proportion ne s’appliquerait qu’aux personnes ayant atteint l’âge de la puberté, soit 12 ans. Selon un article récent publié par Jennifer Ahn, diplômée de l’Université de Toronto et lauréate de la bourse de stagiaire de recherche au doctorat de la Fondation Lawrason, décernée par la Société canadienne de la SP, le fait que le risque de SP de la population féminine, à partir de l’âge de 12 ans, soit plus élevé que celui des hommes suggère la possibilité que la puberté soit en cause dans le déclenchement de cette maladie. Cette observation pourrait être attribuable à l’effet protecteur contre la SP qu’aurait l’augmentation du niveau de testostérone chez les garçons au cours de la période pubertaire, étant donné que cette hormone s’est déjà montrée capable de ralentir la progression de la SP. Or, le rôle des hormones féminines dans le contexte de la SP n’est pas aussi bien défini que celui des hormones masculines, car les études menées sur les premières ont donné des résultats variés nécessitant la poursuite d’études approfondies. L’étude de Mme Ahn et de ses collaborateurs comporte l’analyse de données cliniques et des expérimentations sur des souris, analyse devant permettre d’évaluer l’importance de l’influence de la puberté sur le risque de SP des adolescentes.
Étude
Cette étude comprenait des participantes à l’Étude canadienne sur les maladies démyélinisantes, initiative financée par une subvention de recherche coopérative de la Fondation pour la recherche scientifique sur la SP. Dirigée par la Dre Brenda Banwell, neuropédiatre-chercheuse en SP de grand renom, et la Dre Shannon Dunn, spécialiste en immunologie, cette initiative mettait à contribution 23 centres de recherche du Canada et consistait à suivre l’évolution des événements démyélinisants survenus précocement chez des enfants, afin de comprendre pourquoi certains d’entre eux finissaient par recevoir un diagnostic de SP, alors que d’autres se rétablissaient complètement. Mme Ahn a identifié 94 participantes à l’étude pédiatrique multicentrique, qui avaient eu leurs premières règles au cours des analyses, dont 40 avaient reçu un diagnostic de SP. L’apparition des premières règles est souvent considérée comme le principal signe de puberté chez les jeunes filles. Mme Ahn et ses collaborateurs ont tenté de voir si le moment de la survenue des premières règles est associé au risque d’avoir la SP.
Pour étayer leurs données et déceler les mécanismes sous-jacents de l’influence possible de la puberté sur le risque de SP, les chercheurs se sont aussi penchés sur le stade pubertaire de la souris atteinte d’une maladie semblable à la SP. Ils ont, d’une part, fait subir à des souris prépubères une intervention chirurgicale visant à empêcher l’apparition de la puberté et, d’autre part, soumis à une procédure factice des souris postpubères, qui ont commencé à avoir des menstruations. Ainsi, les chercheurs ont pu voir si la puberté influait sur le risque de survenue de la maladie murine (souris) semblable à la SP, sans égard à l’âge des sujets. L’examen des lymphocytes (globules blancs) prélevés sur les souris des deux groupes a également permis de comparer ces cellules et d’en évaluer les propriétés inflammatoires.
Résultats
L’analyse des données cliniques recueillies auprès des 94 participantes à l’étude pédiatrique canadienne sur les maladies démyélinisantes a révélé que les premières règles (début de la puberté) étaient survenues plus tôt chez celles qui avaient reçu un diagnostic de SP consécutif à un événement démyélinisant apparu précocement, par comparaison avec celles qui n’avaient pas reçu un tel diagnostic, même après ajustement en fonction de l’âge et d’autres facteurs de risque de SP comme un déficit en vitamine D. Dans le cadre des études sur les animaux, on a constaté que le nombre de souris ayant présenté une maladie apparentée à la SP était plus élevé chez celles qui étaient pubères que chez celles qui ne l’étaient pas. De plus, les lymphocytes des animaux pubères étaient très actifs et produisaient plus de substances inflammatoires que ceux des souris prépubères. D’après les chercheurs, ces observations prouvent que la réaction auto-immune des souris femelles pubères est forte. D’autres analyses cellulaires ont étayé l’hypothèse voulant que la puberté influe sur la vulnérabilité à la maladie semblable à la SP chez la souris.
Commentaires
Bien que l’étude en question mette en évidence les mécanismes biologiques qui pourraient expliquer l’influence de la puberté sur la survenue de la SP, le processus en cause demeure obscur. Toutefois, le stade pubertaire – c'est-à-dire l’atteinte de la puberté – peut accroître le risque de SP, en particulier chez les adolescentes présentant des signes précoces de démyélinisation. Il en va de même pour la souris : au cours de l’étude, l’atteinte de la puberté a mené dans bien des cas à l’apparition de la maladie semblable à la SP, peut-être en raison d’une amplification de la réponse auto-immune à l’intérieur du système nerveux central.
De nombreuses études actuelles visent à déterminer les raisons de la différence observée entre les hommes et les femmes quant à l’incidence de la SP. Leur objectif est de permettre d’élaborer des méthodes d’identification des personnes présentant un risque élevé de SP et de les traiter. L’étude dont il est question ici s’avère innovatrice de par le jeune âge des participantes, et elle pourrait aider à déterminer des facteurs déclencheurs précoces de la SP et à expliquer la différence de l’incidence de cette maladie entre les hommes et les femmes. Non seulement les données issues de cette étude révèlent-elles un facteur de risque potentiel de la SP, mais elles pourraient aboutir à la mise au jour des mécanismes à l’origine de cette maladie, attestés par les changements survenant dans l’organisme (systèmes immunitaire et endocrinien [hormones]) durant la puberté et peu après.
Source
AHN, J. J. et coll. « Puberty in females enhances the risk of an outcome of multiple sclerosis in children and the development of central nervous system autoimmunity in mice », Multiple Sclerosis Journal, 2014 Dec 22 [diffusé en ligne avant l’impression].