Contexte
La sclérose en plaques se caractérise notamment, en particulier au stade progressif, par la détérioration des axones, ou fibres nerveuses, recouverts d’une gaine de myéline dans le système nerveux central. Cette détérioration fait partie d’un processus appelé neurodégénérescence, auquel seraient attribuables, croit-on, les atteintes neurologiques et les incapacités permanentes observées dans les cas de SP progressive. Alors que tous les médicaments actuels contre la SP, approuvés pour l’emploi clinique, ciblent l’un ou l’autre aspect du processus inflammatoire à l’origine du déclenchement des poussées, on sait fort peu de choses sur les moyens de contrer la neurodégénérescence et l’aggravation de l’incapacité chez les personnes présentant une forme progressive de SP.
Une nouvelle étude prometteuse visant à enrichir nos connaissances dans ce domaine a été présentée dans le numéro de février dernier de la revue Nature Neuroscience. Menée par le Dr Jeffery Haines, titulaire d’une bourse de recherche postdoctorale offerte par la Société de la SP en partenariat avec le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRSQ), et ses collaborateurs, cette étude a permis d’identifier une cible moléculaire soupçonnée de participer à la dégénérescence axonale sous-jacente à la SP et à d’autres maladies neurodégénératives. Les chercheurs se sont également penchés sur une nouvelle classe de composés chimiques dans le but d’évaluer leur capacité à stopper cette détérioration et la progression de l’incapacité.
Plus précisément, le groupe a étudié la protéine CRM1 (chromosome region maintenance protein 1), « navette » moléculaire transportant des protéines régulatrices importantes du noyau de la cellule nerveuse vers le compartiment géliforme environnant, appelé cytoplasme. Des études antérieures ont montré que la CRM1 est produite en quantité anormalement élevée dans le contexte de certaines maladies dégénératives, favorisant une accumulation excessive de protéines régulatrices dans le cytoplasme, où elles participent à une dégénérescence axonale. Les auteurs de l’étude avaient pour but de déterminer si l’inhibition de la CRM1 pouvait contribuer à prévenir la dégénérescence axonale et à promouvoir la neuroprotection.
Description de l’étude
Les chercheurs se sont penchés sur deux molécules connues pour inhiber la CRM1 afin de voir si elles pouvaient prévenir la dégénérescence axonale et stopper la progression d’une maladie murine (souris) semblable à la SP. Ils ont d’abord analysé le contenu de cette protéine dans des prélèvements post mortem de tissus cérébraux provenant de personnes atteintes de SP et de sujets sains, puis ils ont comparé leurs résultats.
Ensuite, les chercheurs ont provoqué l’apparition d’une maladie semblable à la SP chez des souris et ont administré à ces dernières chacun des inhibiteurs de la CRM1 ou une substance inactive dès l’apparition des symptômes typiques de la SP. Afin de voir si le traitement pouvait prévenir l’apparition de la maladie et favoriser la neuroprotection, ils ont également administré les inhibiteurs de la CRM1 à un autre groupe de souris avant le déclenchement de la maladie semblable à la SP.
Les auteurs de l’étude ont mesuré une vaste gamme de paramètres afin de jauger l’efficacité potentielle des inhibiteurs de la CRM1, y compris la progression de l’incapacité motrice, la destruction des axones dans les échantillons de tissu, le degré de réparation de la myéline et l’activité inflammatoire.
Enfin, ils se sont affairés à identifier les cibles moléculaires précises des inhibiteurs de la CRM1 en criblant dans les cellules nerveuses traitées les molécules qui étaient conservées dans le noyau cellulaire, où celles-ci pourraient avoir un effet neuroprotecteur.
Résultats
Les chercheurs ont constaté que les taux de protéine CRM1 étaient significativement plus élevés dans le tissu cérébral des personnes atteintes de SP que dans celui des témoins en santé, ce qui signifie que des concentrations élevées de cette protéine sont associées à la SP.
Lorsqu’ils ont testé les inhibiteurs de la CRM1 chez les souris atteintes d’une maladie semblable à la SP, ils ont découvert que les inhibiteurs stoppaient la progression de cette maladie suivant une double approche ciblant à la fois la neuroprotection et la fonction immunitaire. En effet, les inhibiteurs de la CRM1 ont permis d’améliorer substantiellement la motricité des membres postérieurs paralysés chez les souris malades. L’examen des tissus nerveux traités par les inhibiteurs de la CRM1 a montré que ce traitement avait stoppé la dégénérescence axonale, bien que, comme il convient de le noter, ce résultat ne soit pas attribuable à la stimulation des mécanismes de réparation des lésions de la myéline. Pour sa part, le traitement préventif des souris a permis de retarder l’apparition de la maladie et d’en diminuer la gravité.
Les auteurs ont également remarqué que le traitement par les inhibiteurs de la CRM1 avait donné lieu à une réduction du nombre de lésions inflammatoires et de cellules immunitaires nocives, tant dans l’environnement des lésions que dans la circulation sanguine périphérique. Ils ont aussi constaté que le médicament n’avait pas détruit ni inactivé les cellules immunitaires, mais les avait plutôt empêchées de se multiplier rapidement.
Enfin, les chercheurs ont découvert que l’inhibition de la CRM1 permettait à certaines protéines associées à la dégénérescence axonale dans le contexte de maladies autres que la SP de demeurer dans le noyau de la cellule nerveuse, où elles sont soupçonnées d’exercer un effet neuroprotecteur.
Commentaires
Bien que l’utilisation de médicaments qui ciblent le système immunitaire et modifient le processus inflammatoire – les immunomodulateurs – constitue le fondement du traitement de la SP cyclique (poussées-rémissions), elle ne permet pas de stopper la progression de la dégénérescence axonale, source d’incapacités permanentes. L’étude en question, menée sur une nouvelle classe de composés immunomodulateurs et neuroprotecteurs, pose les jalons d’une approche prometteuse dans le traitement des formes progressives de SP. Autre avantage de ces médicaments : ils peuvent être administrés par voie orale et ils traversent facilement la barrière hémato-encéphalique pour accéder au système nerveux central, ce qui en fait de bons candidats pour l’évaluation et la validation de l’efficacité de futurs traitements. Cependant, il reste beaucoup à faire avant que ces résultats précliniques encourageants puissent être traduits en traitements viables pour les personnes aux prises avec la SP.
Source
HAINES, J. D. et coll. « Nuclear export inhibitors avert progression in preclinical models of inflammatory demyelination », Nature Neuroscience, 2015 Feb [diffusé en ligne avant impression].