Contexte
La sclérose en plaques (SP) est une maladie auto-immune caractérisée par un dysfonctionnement du système immunitaire, qui cible alors le système nerveux central (SNC) et s’attaque à ses composants. Les attaques provoquent une inflammation et des lésions qui sont d’abord localisées à la myéline (gaine protectrice qui enveloppe les fibres nerveuses) et qui finissent par s’étendre aux fibres nerveuses elles-mêmes. L’un des principaux acteurs de ce processus inflammatoire est le lymphocyte Th17, un type de lymphocyte T. Plus précisément, les lymphocytes Th17 qui sont présents dans les foyers inflammatoires du SNC libèrent des molécules pro-inflammatoires et recrutent d’autres cellules inflammatoires susceptibles de provoquer des lésions de la myéline et des fibres nerveuses.
Les lymphocytes Th17 n’exercent pas toujours une activité inflammatoire ou pathogène (c’est-à-dire susceptible de causer une maladie). Bon nombre d’entre eux jouent au contraire un rôle salutaire : ils maîtrisent la prolifération des bactéries présentes naturellement dans les intestins et protègent l’organisme contre les infections fongiques et bactériennes. En fait, ils sont dans un état non pathogène, c’est-à-dire qu’ils remplissent leur fonction immunitaire – une fonction primordiale qui consiste normalement à protéger l’organisme.
Les mécanismes qui régulent le passage des lymphocytes Th17 de l’état non pathogène à l’état pathogène n’ont pas encore été complètement élucidés. Désirant creuser la question, la Dre Chao Wang, de la Faculté de médecine de Harvard, titulaire d’une bourse de recherche postdoctorale de la Société de la SP, et ses collaborateurs se sont proposé d’identifier les molécules qui sont propres aux lymphocytes Th17 pathogènes (qui ont une activité néfaste) et celles qui sont propres aux lymphocytes Th17 non pathogènes (qui ont une activité protectrice). C’est ainsi qu’ils ont découvert une protéine appelée « CD5L », qui agit comme un « interrupteur » moléculaire et qui contribue à inhiber le développement des lymphocytes Th17 pathogènes. Les résultats de leurs travaux ont récemment été publiés dans la prestigieuse revue Cell.
Description de l’étude
D’abord, les chercheurs ont analysé le matériel génétique de lymphocytes Th17 pathogènes et non pathogènes qui avaient été mis en culture et celui de lymphocytes Th17 pathogènes et non pathogènes qui avaient été prélevés directement sur des souris porteuses d’une maladie comparable à la SP. Ils sont parvenus à identifier un gène que possèdent les lymphocytes Th17 non pathogènes, mais qui n’est pas porté par ces cellules lorsqu’elles sont dans un état pathogène. Ce gène code pour une protéine appelée CD5L.
Ensuite, ils ont examiné les effets de l’inactivation du gène qui code pour CD5L sur le comportement des lymphocytes Th17. Pour ce faire, ils ont réalisé une série d’expériences sur des cultures de lymphocytes Th17 et sur des souris génétiquement modifiées (souris transgéniques) chez lesquelles le gène qui code pour la protéine CD5L a été inactivé et chez lesquelles cette protéine n’est donc pas exprimée.
Les souris transgéniques en question étaient également porteuses d’une maladie comparable à la SP. Les chercheurs ont donc pu évaluer les effets de l’absence de CD5L sur les symptômes cliniques présentés par ces animaux (notamment la paralysie des membres postérieurs et celle de la queue, deux paramètres de mesure de l’incapacité chez les animaux porteurs d’une maladie comparable à la SP), ainsi que le comportement des lymphocytes Th17 qui avaient été « programmés » pour devenir pathogènes, et donc agressifs.
Des travaux de recherche antérieurs avaient démontré que la protéine CD5L joue un rôle dans la régulation du métabolisme des acides gras dans les adipocytes (cellules qui assurent le stockage des lipides). En se fondant sur ces observations, les chercheurs ont émis l’hypothèse que la protéine CD5L influerait sur le comportement des lymphocytes Th17 en modifiant la composition en acides gras de ces cellules. Pour vérifier cette hypothèse, ils ont comparé la composition en acides gras de lymphocytes Th17 qui exprimaient la protéine CD5L à celle de lymphocytes Th17 qui n’exprimaient pas cette protéine, en s’intéressant plus particulièrement aux taux d’acides gras saturés et polyinsaturés. Ils ont également examiné les effets de CD5L sur la synthèse du cholestérol dans les lymphocytes Th17.
Enfin, la dernière série d’expériences menée par les chercheurs avait pour but de vérifier si des altérations de la composition en acides gras ou de la synthèse du cholestérol sont susceptibles de modifier l’activité de la protéine Rorγt, un régulateur principal du développement des lymphocytes Th17 bien connu.
Résultats
Laprotéine CD5L était présente en grande quantité dans les lymphocytes Th17 non pathogènes, mais elle n’était pas du tout exprimée par les lymphocytes Th17 pathogènes.
Les souris porteuses d’une maladie comparable à la SP chez lesquelles le gène qui code pour CD5L a été inactivé ont présenté des symptômes d’incapacité plus marqués que les autres souris. Il est apparu que l’absence de CD5L fait pencher la balance en faveur de l’état pathogène, et donc pro-inflammatoire, plutôt qu’en faveur de l’état non pathogène.
À l’échelle moléculaire, les chercheurs ont constaté que CD5L influe sur la fonction des lymphocytes Th17 en modifiant la composition en acides gras de ces cellules et en limitant la synthèse du cholestérol dans ces dernières. En fait, en l’absence de cette protéine, les acides gras saturés et les molécules dérivées du cholestérol sont en plus grand nombre et ils ordonnent à Rorγt, régulateur principal du développement des lymphocytes Th17, d’enclencher le passage de ces cellules à l’état pathogène.
En revanche, les chercheurs ont observé une augmentation de la production d’acides gras polyinsaturés associée à une diminution de la production d’acides gras saturés et de la synthèse du cholestérol dans les lymphocytes Th17 qui expriment CD5L. Ils ont aussi découvert qu’en présence de CD5L, les acides gras polyinsaturés ordonnent à Rorγt de maintenir le lymphocyte Th17 dans son état non pathogène et contribuent ainsi à la production de molécules anti-inflammatoires.
Commentaires
Les chercheurs ont mis en évidence que CD5L agit comme un interrupteur moléculaire qui régule l’équilibre entre les lymphocytes Th17 non pathogènes, qui remplissent leur fonction protectrice, et les lymphocytes Th17 pathogènes, qui ont une activité néfaste. Cet interrupteur a des effets inhibiteurs sur les lymphocytes Th17 non pathogènes, en ce sens qu’il réduit la possibilité qu’ils exercent une activité inflammatoire. En son absence, ces lymphocytes passent à l’état pathogène et deviennent des cellules inflammatoires.
À l’échelle moléculaire, CD5L influe sur la composition en acides gras des lymphocytes Th17 (augmentation de la production d’acides gras polyinsaturés et diminution de la production d’acides gras saturés) et limite la synthèse du cholestérol. L’équilibre délicat qui s’établit entre les différents types d’acides gras produits par les lymphocytes Th17 régule la réponse de ces derniers à l’activité de Rorγt, qui est le principal régulateur de leur développement.
On ignore encore quels facteurs externes influent sur le taux de CD5L dans les lymphocytes Th17. Les chercheurs suggèrent d’orienter les recherches sur les intestins, puisque les tissus intestinaux sont riches en lymphocytes Th17 non pathogènes. En fait, les interactions entre le système immunitaire et le microbiote intestinal (soit l’ensemble des populations bactériennes qui sont présentes dans les intestins) comptent parmi les nouvelles pistes de recherche qui sont explorées actuellement par les spécialistes de la SP. Les résultats des études visant à comprendre les mécanismes qui contribuent au maintien des taux de CD5L dans le microbiote et à cerner les signaux qui jouent un rôle important dans les voies de régulation de CD5L ouvriront probablement la voie à d’autres travaux de recherche.
Source
WANG, C. et coll. « CD5L/AIM Regulates Lipid Biosynthesis and Restrains Th17 Cell Pathogenicity », Cell, 2015, avant la publication.