Contexte
Les cellules T cytotoxiques sont deslymphocytes particuliers qui participent largement à la réponse du système immunitaire contre l’infection : elles reconnaissent et détruisent des cellules cibles (p. ex. des cellules infectées par un virus pathogène) en programmant leur mort. Dans le contexte de la sclérose en plaques, un nombre incontrôlable de cellules T cytotoxiques pénètrent dans le système nerveux central (SNC) et s’attaquent aux cellules de ce système, détériorant ainsi les fibres nerveuses (axones) et les cellules nerveuses (neurones).
L’une des principales armes utilisées par les cellules T cytotoxiques dans leur combat contre d’autres cellules cibles est une enzyme appelée granzyme B. Il faut savoir qu’un volume considérable de données probantes lie cette enzyme à la neurodégénérescence observée dans le contexte de la SP. En effet, on a relevé la présence de concentrations élevées de cette enzyme dans les lésions de SP. Or, il s’avère que la réduction du taux de granzyme B dans les cellules T peut freiner la destruction des neurones chez les souris atteintes d’une maladie semblable à la SP. Lors d’une étude récente, subventionnée par la Société canadienne de la SP, des chercheurs de l’Université de l’Alberta, notamment les Drs Chris Bleackley (qui a découvert la granzyme B), Bradley Kerr et Fabrizio Guiliani ainsi que leurs collaborateurs ont mesuré les effets d’un inhibiteur de la granzyme B, soit le serpina3n, sur la neurodégénérescence et la gravité de la maladie chez les animaux atteints d’une maladie semblable à la SP. Cette étude a fait l’objet d’un article dans la revue scientifique Journal of Inflammation.
Description de l’étude
Les chercheurs ont effectué diverses expérimentations destinées à évaluer les effets de l’inhibiteur serpina3n sur la neurodégénérescence entraînée par la granzyme B. Ils ont d’abord procédé à l’incubation de cellules T activées avec le serpina3n pendant une heure pour leur permettre d’interagir entre eux, après quoi ils ont cultivé des cellules neuronales soit dans un milieu qui comprenait des cellules T traitées avec le serpina3n, soit dans un milieu inactif. L’étude comportait deux critères d’évaluation : le nombre de cellules neuronales survivantes et la détérioration potentielle de certaines protéines structurales des neurones.
Par la suite, les chercheurs se sont penchés sur les effets du serpina3n sur des souris atteintes d’une maladie semblable à la SP. Les animaux ont été répartis dans trois groupes : le premier a reçu une injection de serpina3n 7 jours après l’induction de la maladie, le second a subi le même traitement 7 jours puis 20 jours après l’induction de la maladie, et le troisième (groupe témoin) a reçu une injection d’un produit inactif. Les signes cliniques d’incapacité ont été évalués durant une période allant jusqu’à 36 jours.
Au bout de ces 36 jours, les mêmes souris ont fait l’objet d’une évaluation visant à dénombrer les axones lésés dans la moelle épinière et à mesurer la détérioration de la myéline et l’infiltration des cellules immunitaires dans le SNC.
Résultats
Les auteurs de l’étude ont découvert que dans les milieux de culture de neurones où on avait incorporé des cellules T activées traitées par le serpina3n, le nombre de neurones survivants était deux fois plus élevé que dans les milieux de culture de neurones où on avait incorporé des cellules T non traitées par le serpina3n. Ajoutons que les cellules T traitées par le serpina3n n’ont pas détérioré les protéines structurales importantes des neurones.
Les souris atteintes d’une maladie semblable à la SP auxquelles le serpina3n a été administré ont présenté un nombre significativement moindre de symptômes d’incapacité que les souris qui avaient reçu le produit inactif, et ce bienfait a persisté durant une période pouvant aller jusqu’à 20 jours. Les souris ayant reçu une deuxième injection de serpina3n 20 jours plus tard ont recommencé à présenter une diminution de la gravité de la maladie.
L’inhibiteur serpina3n a également permis de réduire d’environ 50 p. 100 le nombre d’axones lésés dans la moelle épinière et a semblé réduire le degré de démyélinisation, mais il n’a pas semblé influer sur l’infiltration des cellules T dans le SNC.
Commentaires
L’un des grands défis posés aux chercheurs en SP réside dans la mise au point de médicaments modificateurs de l'évolution de la SP capables à la fois 1) d’empêcher les cellules immunitaires d’attaquer le tissu nerveux de leur propre organisme et 2) d’éviter l’altération de la capacité du système immunitaire à détecter l’infection et à la combattre. L’inhibition de la granzyme B au moyen du serpina3n pourrait s’avérer prometteuse, étant donné que cette intervention prévient la destruction des neurones par les cellules T inflammatoires, tout en permettant le passage de certaines cellules T dans le SNC et en n’exerçant aucune influence négative sur les mécanismes d’immunosurveillance (capacité du système immunitaire à déceler l’infection).
Outre sa capacité d’empêcher la destruction des axones et d’amoindrir la gravité de la maladie, le blocage de la granzyme B a l’avantage de refréner la démyélinisation : cette approche à double volet fait de l’inhibition par le serpina3n une méthode prometteuse, capable de cibler d’un seul coup plusieurs mécanismes sous-jacents de la SP. Les résultats de cette étude pourraient s’avérer particulièrement utiles dans le contexte de la SP progressive, vu que la dégénérescence axonale s’avère l’une des principales causes de l’accumulation de l’incapacité typique de cette forme de la maladie. Il faudra entreprendre des travaux de recherche translationnelle qui permettront de traduire ces stratégies neuroprotectrices en un médicament sûr et efficace pour les personnes qui vivent avec la SP.
Source
HAILE, Y. et coll. « Granzyme B-inhibitor serpina3n induces neuroprotection in vitro and in vivo », J Neuroinflammation, 2015; 12: 157.