Contexte
Bon nombre de données probantes laissent supposer que le tabagisme augmente le risque de sclérose en plaques (SP) et qu’il pourrait même accélérer la progression de cette maladie. Or, une étude portant sur la nicotine (à l’exclusion des autres ingrédients de la fumée du tabac) a montré que cette substance à l’origine de la dépendance au tabagisme avait des propriétés anti-inflammatoires. Grâce à une subvention de fonctionnement de la Société canadienne de la SP, le Dr Alain Simard (Université de Moncton, Moncton, Nouveau-Brunswick) et ses collaborateurs se sont penchés sur les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine, soit une famille de protéines présentes à la surface de cellules immunitaires activées par la nicotine et d’autres molécules similaires. L’équipe de chercheurs a émis l’hypothèse selon laquelle la nicotine pourrait freiner l’invasion de certains types de cellules immunitaires dans le système nerveux central (SNC) des personnes qui vivent avec la SP.
Les neutrophiles et les monocytes comptent parmi ces types de cellules immunitaires spécialisées. Normalement, ils sont présents dans la circulation sanguine et ils migrent vers des régions comme le cerveau et la moelle épinière lorsqu’ils sont appelés à combattre l’infection. Or, on a observé ces cellules dans les lésions actives ou zones de détérioration cérébrales des personnes touchées par la SP, et les scientifiques s’entendent généralement pour dire qu’elles contribuent au déclenchement et à la progression de la SP.
Dans le cadre de leur étude présentée dans l’édition en ligne du Journal of Immunology, le Dr Simard et son équipe ont tenté de voir si la nicotine pouvait contrecarrer les effets pro-inflammatoires des neutrophiles et des monocytes chez des souris atteintes d’une maladie semblable à la SP. Ces travaux ont été subventionnés conjointement par la Société canadienne de la SP et la Fondation de la recherche en santé du Nouveau-Brunswick.
Description de l’étude
L’étude prévoyait l’insertion d’une micropompe sous la peau de souris atteintes d’une maladie semblable à la SP. Chez certaines souris, cette pompe délivrait continuellement de petites quantités de nicotine, et chez les autres, une solution factice. Les effets de la nicotine sur le degré d’incapacité en général des animaux (paralysie de la queue et des pattes et temps de rétablissement) ont été évalués au fil du temps, puis comparés aux données relevées chez les souris auxquelles une solution factice avait été administrée. L’équipe a aussi analysé les effets de la nicotine sur le nombre de neutrophiles et de monocytes pro-inflammatoires présents dans le sang, le cerveau et la moelle épinière des animaux.
Dans le cadre d’une autre série d’expérimentations, les chercheurs ont mesuré la capacité de la nicotine à contrer la production de deux chimiokines, en l’occurrence la CCL2 et la CXCL2, chez les animaux atteints d’une maladie semblable à la SP. Les chimiokines sont de petites balises moléculaires qui attirent les cellules immunitaires vers les sites d’inflammation. Quant à elles, les CCL2 et CXCL2 attirent respectivement les monocytes et les neutrophiles pro-inflammatoires.
Résultats
Parmi toutes les souris, celles qui avaient reçu la nicotine ont présenté une atténuation de leurs symptômes cliniques comparativement aux souris qui avaient reçu la substance factice : chez les premières, la maladie était moins grave, et le temps de rétablissement, plus court. En y regardant de plus près, les chercheurs ont remarqué que la nicotine avait contribué à réduire le nombre de monocytes pro-inflammatoires circulants ainsi que le nombre de monocytes et de neutrophiles pro-inflammatoires qui pénétraient dans le cerveau et la moelle épinière des animaux.
Du point de vue moléculaire, la nicotine a bloqué la production de deux chimiokines présentes dans le cerveau des animaux : la CCL2, qui attire les monocytes, et la CXCL2, qui attire les neutrophiles.
Commentaires
En activant les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine, la nicotine peut soulager les symptômes d’incapacité chez les souris atteintes d’une maladie semblable à la SP grâce en partie au fait qu’elle permet d’abaisser le nombre de monocytes et de neutrophiles pro-inflammatoires qui s’infiltrent dans le cerveau et la moelle épinière. Les auteurs en arrivent à la conclusion que cet abaissement peut être attribué à la diminution du nombre de CCL2 et de CXCL2 dans le cerveau des animaux, dont la production est bloquée par la nicotine.
La nicotine est une composante des produits du tabac comme la cigarette. Or, le tabagisme est considéré comme un facteur de risque important de la SP. Rappelons que dans la présente étude, la nicotine a été dissociée des autres substances chimiques contenues dans la fumée de cigarette. Les données obtenues militent en faveur des résultats d’une étude antérieure menée en Suède ayant montré que la cigarette était associée à un risque accru de SP, mais que ce risque était diminué chez les amateurs de tabac à chiquer. Ces observations permettent de croire que les substances contenues dans la fumée du tabac, outre la nicotine, peuvent influer sur le risque de SP.
Des études à venir porteront sur d’autres substances dont la composition chimique ressemble à celle de la nicotine, activant les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine, qui pourraient ouvrir la voie à de nouveaux traitements contre la SP.
Source
LAUGHLIN, S. et coll. « Infiltration of CCR2+Ly6Chigh proinflammatory monocytes and neutrophils into the central nervous system are modulated by nicotinic acetylcholine receptors in a model of multiple sclerosis », Journal of Immunology, 2016; doi:10.4049/jimmunol.1501613 [diffusion en ligne avant impression].