RÉVISION : le 3 juin 2016
Contexte
Les chercheurs tentent toujours de déterminer quels sont les facteurs de déclenchement précis de la sclérose en plaques. Bon nombre d’entre eux croient toutefois que cette maladie serait attribuable à l’interaction de facteurs génétiques, biologiques et environnementaux. Au cours des trente dernières années, des scientifiques ont procédé à une observation minutieuse des tendances des schémas de population qui, combinée à des techniques d’analyses génétiques de plus en plus sophistiquées, a permis de scruter la base génétique de la SP.
À la fin des années 1980, une série d’études novatrices a été lancée sous la direction de la Dre Dessa Sadovnick, de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), et du Dr George Ebers, qui menait ses activités à l’Université Western Ontario à l’époque. Ces travaux ont permis d’accumuler un imposant volume de données probantes étayant l’hypothèse voulant que des facteurs génétiques influent grandement sur le risque de SP. Ils ont notamment révélé que le risque d’avoir la SP pour les parents biologiques au premier degré d’une personne qui vit avec la SP était significativement plus élevé que celui de la population en général. Ils ont également montré que l’exposition d’une famille au même environnement, soit à des facteurs environnementaux particuliers, ne peut pas justifier la présence de cas multiples de SP dans cette famille. Ces résultats intéressants ont mené au lancement de l’Étude coopérative canadienne sur la susceptibilité génétique à la SP (ÉCCSGSP), en 1993. Dans le cadre de cette étude multicentrique de grande envergure, financée par la Société de la SP et la Fondation pour la recherche scientifique sur la SP, des échantillons sanguins et des données cliniques ont été recueillis, dans toutes les régions du Canada, auprès de 4 400 personnes vivant avec la SP et de 8 600 sujets ayant un lien de sang avec ces personnes. L’initiative a donné naissance à l’une des plus imposantes biobanques génétiques du monde sur la SP. Toute l’information obtenue grâce à l’ÉCCSGSP a permis aux chercheurs d’identifier des gènes liés au risque de SP, d’établir des schémas de la prévalence de la SP parmi les membres des familles étudiées et de déterminer les mécanismes par lesquels l’environnement influe sur les facteurs de risque génétiques de cette maladie.
Selon un article paru cette semaine dans la revue Neuron, une équipe de chercheurs, dont faisaient partie la Dre Sadovnick et des collaborateurs comme les Drs Carles Vilarino-Guell et Weihong Song (UBC), s’est penchée sur les données tirées de la biobanque constituée dans le cadre de l’ÉCCSGSP pour identifier une mutation génétique unique, étroitement associée à une forme particulière de SP progressive grave. À l’aide de techniques de séquençage sophistiquées, les chercheurs ont repéré les voies de signalisation biologiques régulées par cette mutation génétique, mettant ainsi en lumière les mécanismes pathologiques à l’origine de la SP chez ces personnes.
Description de l’étude et résultats
Les chercheurs se sont d’abord penchés sur un échantillon formé de 2 053 personnes vivant avec la SP et de 799 témoins en santé qui ne leur étaient pas apparentés (groupe servant de base de comparaison), dont les échantillons sanguins étaient accessibles par l’entremise de la biobanque issue de l’ÉCCSGSP. Toutes les données cliniques ont été examinées dans le but de trouver des familles à cas multiples de SP ayant des caractéristiques similaires. Cette analyse a permis d’isoler une grande famille dont plusieurs membres de diverses générations présentaient une forme progressive primaire de SP à évolution très rapide ou une forme progressive secondaire de SP à évolution très rapide ayant succédé à une forme cyclique (poussées-rémissions) dans les trois années suivant le diagnostic.
Utilisant une technique de séquençage sophistiquée et extrêmement précise, les chercheurs ont remarqué qu’un gène particulier, soit le NR1H3, avait subi une mutation chez des membres de la famille qui avaient reçu un diagnostic de SP progressive inhabituelle, à évolution très rapide.
Après s’être concentrés sur une mutation génétique particulière, les chercheurs ont élargi leur analyse afin de vérifier s’ils détecteraient cette mutation au sein de l’échantillon de 2 053 personnes atteintes de SP et de 799 témoins en bonne santé. Cela leur a permis de trouver une deuxième famille – qui n’avait pas de lien avec la première – dont un membre porteur de la mutation était aussi atteint de SP progressive à évolution très rapide. Étant donné que les porteurs de la mutation qui n’avaient pas reçu un diagnostic de SP ont été perdus de vue au suivi, les chercheurs n’ont pas pu savoir si la SP était apparue chez ces personnes plus tard dans leur vie ou si la maladie n’avait pas été décelée au départ, parce que les critères de diagnostic en vigueur à l’époque n’avaient pas été satisfaits. Somme toute, les chercheurs ont établi que dans les deux familles, le risque d’être atteint de cette forme de SP progressive à évolution très rapide était de 60 à 70 % chez les porteurs de la mutation.
L’équipe de recherche a approfondi son étude du NR1H3 dans le but de comprendre le rôle de ce gène dans l’organisme et de mettre au jour tout lien qu’il pourrait avoir avec l’apparition de la SP. Cette démarche a révélé que le NR1H3 contenait le matériel génétique gouvernant la production d’une protéine appelée LXRA. On croit que cette protéine agit comme un commutateur régulant l’expression d’autres gènes intervenant dans le contexte de la SP, tels ceux qui régissent la remyélinisation et l’inflammation.
Commentaires
Au cours des dix dernières années environ, les techniques d’analyse génétique de plus en plus sophistiquées ont permis aux chercheurs de dresser un catalogue de plus de 100 facteurs de risque génétiques liés à la SP. Selon les connaissances actuelles, ces gènes ne contribuent que faiblement au risque global de SP et ne révèlent que très peu de choses quant à la nature héréditaire de la SP. Dans le cadre de cette nouvelle étude, la Dre Sadovnick et ses collaborateurs ont découvert une pièce cruciale du casse-tête en mettant en lumière les mécanismes de transmission génétique de certaines formes de SP, d’une génération à l’autre. Soulignons cependant que cette mutation du gène NR1H3 semble extrêmement rare puisqu’elle n’est observée que chez 0,1 % des personnes inscrites dans la biobanque de l’ÉCCSGSP. Les auteurs de l’étude concluent que pour la très grande majorité des personnes qui vivent avec la SP, la maladie est fort probablement provoquée par une interaction entre divers déclencheurs génétiques et environnementaux plutôt que par une seule mutation.
Le mécanisme par lequel la mutation du NR1H3 déclenche ou favorise la forme progressive de SP concernée ici fait encore l’objet d’investigations. Se fondant sur leurs observations, les chercheurs avancent que certains porteurs de la mutation pourraient subir deux conséquences fâcheuses à la suite de la détérioration de la myéline, en l’occurrence une intensification de la réponse inflammatoire et une défaillance des mécanismes de réparation de la myéline. L’association de ces facteurs créerait le contexte idéal à la neurodégérescence des fibres nerveuses dont la gaine de myéline est altérée et à l’évolution rapide de la maladie.
Les résultats de cette étude pourraient s’avérer très utiles dans l’élaboration de stratégies de dépistage, de diagnostic et de prévention de la SP. Selon les chercheurs, le test de dépistage du gène NR1H3 chez les personnes qui n’ont pas la SP mais qui font partie d’une famille à cas multiples de cette maladie pourrait aider les cliniciens à déterminer s’il serait justifié de recourir à des examens d’imagerie diagnostique pour déceler tout signe de la maladie avant que ne surviennent des symptômes visibles. L’équipe fait remarquer que ses travaux pourraient également mener à la création d’un nouveau modèle animal de SP progressive primaire qui aiderait à mieux comprendre les mécanismes sous-jacents de la maladie et à mettre au point des médicaments capables de cibler ce gène dans le but ultime d’élaborer des stratégies thérapeutiques contre les formes progressives de SP.
Référence
WANG, Z., et coll. « Nuclear Receptor NR1H3 in Familial Multiple Sclerosis », Neuron, 2016, 90: 948-54.