Contexte
Lorsqu’il s’agit d’acquérir des connaissances importantes sur une affection aussi complexe que la sclérose en plaques (SP), les chercheurs peuvent faire appel à diverses méthodes, dont celle qui consiste à étudier les interactions entre différentes molécules, qui ont pour effet de déclencher ou de favoriser la maladie en question. En ce qui a trait à la sclérose en plaques, certaines molécules peuvent avoir plusieurs fonctions et même jouer des rôles contradictoires dans le processus qui sous-tend la maladie. C’est notamment le cas de l’interleukine-1 (IL-1), qui est impliquée dans l’apparition des symptômes d’une maladie semblable à la SP chez la souris et qui semble également contribuer à la remyélinisation, processus de réparation des lésions de la myéline évocatrices de la SP.
Parmi les molécules les plus étudiées de la vaste famille des protéines IL‑1 figure l’IL‑1b, messager moléculaire qui permet aux cellules de communiquer entre elles selon le mécanisme suivant : lorsqu’une cellule libère une molécule IL‑1b, cette dernière se dirige vers son récepteur (baptisé IL‑1R1) situé à la surface d’une autre cellule et se lie à celui-ci. La liaison ainsi établie transmet à cette autre cellule un signal qui amène cette dernière à exécuter un certain nombre de fonctions, comme celle qui consiste à sécréter des molécules inflammatoires ou à migrer sur une longue distance.
Afin de faire la lumière sur le rôle de l’IL‑1b dans le contexte de la SP, une équipe de chercheurs de l’Université Laval a mené une étude consacrée à la voie de signalisation IL-1R1 chez des souris atteintes d’une maladie semblable à la SP. Les chercheurs participants comprenaient les Drs Steve Lacroix et Alexandre Prat, tous deux subventionnés par la Société de la SP, et le Dr Jorge Alvarez, titulaire d'une bourse de transition études-carrière stopSP. Leurs travaux, dont les résultats ont été publiés dans la revue The Journal of Experimental Medicine, portaient sur le système IL‑1b/IL‑1R1 et sur les effets de ce dernier sur le système immunitaire dans le contexte d’une poussée évocatrice de la SP.
Description de l’étude
Le Dr Lacroix et son équipe ont tout d’abord cherché à établir si le fait de supprimer génétiquement la production de la molécule IL‑1b ou de son récepteur IL‑1R1 pouvait influer sur l’évolution d’une affection semblable à la SP chez la souris. Ils ont ensuite mené une série d’expérimentations en vue de dépister les cellules productrices de l’IL‑1b et celles qui sont dotées du récepteur IL‑1R1. Durant l’étude, l’équipe de chercheurs a porté une attention particulière à la moelle épinière, soit le site où les taux d’IL‑1b atteignent des pics lors d’une poussée évocatrice de la SP.
Les chercheurs ont ensuite procédé à des tests pour déterminer si les cellules porteuses du récepteur IL-1R1 libèrent des molécules pro-inflammatoires en réaction à la sécrétion d’IL-1b. À cette fin, ils ont utilisé des cellules humaines et murines cultivées dans des boîtes de Petri ainsi que des cellules provenant de souris atteintes d’une maladie semblable à la SP.
Lors de leur dernière série d’expériences, les chercheurs ont introduit des cellules productrices de l’IL-1b dans la moelle épinière de souris dont l’organisme était incapable de produire cette protéine par lui-même. Ce faisant, l’équipe de recherche s’est donné les moyens de définir le rôle éventuel des cellules productrices de l’IL‑1b dans l’apparition de symptômes d’une maladie semblable à la SP chez la souris.
Résultats
Au fil de ces expériences, les symptômes évocateurs de la SP sont apparus plus lentement et se sont avérés moins intenses chez les souris non porteuses de la molécule IL-1b ou de son récepteur IL-1R1, comparativement aux autres souris à l’étude.
Les chercheurs ont pu constater que deux types de cellules immunitaires, à savoir les neutrophiles et les macrophages, assuraient la production d’IL-1b dans la moelle épinière durant les poussées évocatrices de la SP. Selon leurs observations, les molécules IL‑1b ciblent les cellules endothéliales qui tapissent l’intérieur des parois des vaisseaux sanguins présents dans la moelle épinière. Une fois la liaison établie entre les molécules IL‑1b et les cellules endothéliales vasculaires, ces dernières libèrent des molécules pro-inflammatoires connues pour leur capacité de mobiliser et d’activer des cellules immunitaires inflammatoires.
Une fois injectés à des souris atteintes d’une maladie semblable à la SP, les neutrophiles et les macrophages producteurs de l’IL‑1b ont par leur action entraîné une réaction inflammatoire importante au point d’injection ainsi qu’une aggravation de la maladie sur le plan symptomatique, à savoir une fréquence accrue de la paralysie des membres postérieurs.
Commentaires
L’IL‑1b semble être au cœur d’un processus inflammatoire en boucle : les neutrophiles et les macrophages pénètrent dans la moelle épinière et sécrètent l’IL‑1b, amenant les cellules endothéliales qui recouvrent la paroi interne des vaisseaux sanguins environnants à « recruter » et à activer d’autres cellules immunitaires circulantes. Chez les souris atteintes d’une affection semblable à la SP, l’accumulation de cellules immunitaires observée lors d’une poussée et résultant de la sécrétion d’IL‑1b aggrave les symptômes et augmente la probabilité d’une paralysie des membres.
Les cellules endothéliales présentent un intérêt particulier dans la mesure où elles contribuent à la formation de la barrière hématospinale (BHS), soit l’une des premières lignes de défense de la moelle épinière contre les invasions. Cette couche dense de cellules constitue une cloison de protection entre le sang et la moelle épinière qui empêche des molécules et des cellules potentiellement nocives – tels les neutrophiles et macrophages activés – de s’infiltrer dans la moelle épinière. Chez les personnes atteintes de SP, des cellules immunitaires en mode « attaque » traversent et détériorent la BHS, et leur action déclenche une réponse inflammatoire disséminée qui porte atteinte à la moelle épinière. Les résultats de l’étude du Dr Lacroix suggèrent que les neutrophiles et les macrophages producteurs de l’IL‑1b agissent sur la BHS pour mobiliser davantage de cellules pro-inflammatoires, contribuant ainsi à exacerber l’inflammation et à aggraver la détérioration tissulaire durant une poussée.
Les auteurs de l’étude en question n’ont formulé aucun commentaire sur le rôle éventuel de l’IL-1b dans le processus de remyélinisation. Leurs travaux s’inscrivent dans le cadre d’efforts concertés dont l’objectif est la découverte de cibles pouvant empêcher les cellules immunitaires inflammatoires de traverser la barrière hématospinale et de s’en prendre au système nerveux central. On espère que la mise au jour de telles cibles ouvrira la voie à l’élaboration de nouveaux traitements contre la SP.
Source
LÉVESQUE S. A. et coll. « Myeloid cell transmigration across the CNS vasculature triggers IL-1b-driven neuroinflammation during autoimmune encephalomyelitis in mice », Journal of Experimental Medicine, 2016; 213(6): 929-49.