Contexte
Les téléphones intelligents font partie de la vie quotidienne de beaucoup d’entre nous. Ces appareils modernes sont munis d’un réseau de capteurs sophistiqués et peuvent héberger une quantité phénoménale de données, ce qui en fait de potentiels outils puissants de recherche. À présent, des chercheurs espèrent pouvoir exploiter ces objets de notre quotidien pour les aider à mieux étudier la sclérose en plaques.
Les paradigmes d’études classiques – par exemple, la visite des participants en clinique – sont utilisés dans des milieux contrôlés et ne donnent aux cliniciens qu’un aperçu d’une pathologie à un moment bien précis. Les téléphones intelligents, en comparaison, peuvent suivre les participants à leur domicile et être munis d’un logiciel spécialisé (application ou « appli ») qui teste les aptitudes motrices et cognitives des utilisateurs. Ce type de technologie permet aux chercheurs de rassembler des données sur une base quotidienne et d’étudier les fluctuations au jour le jour de plusieurs variables liées à la SP. En outre, tous les résultats de tests et les mesures sont consignés durant les activités quotidiennes du sujet; ils reflètent ainsi mieux le vécu avec la SP qu’une simple visite en clinique.
Une équipe de recherche dirigée par le DrPhilip De Jager, de la Faculté de médecine de Harvard, a entrepris de tester la possibilité d’utiliser des téléphones intelligents munis d’applications spécialisées pour assurer le suivi des personnes atteintes de SP. Leurs résultats ont été publiés en ligne dans la revue Neurology Neuroimmunology and Neuroinflammation.
Description de l’étude
Trente-huit paires de participants (chaque paire regroupant une personne atteinte de SP et une personne vivant avec elle) ont été admises à l’étude. Les participants étaient âgés de 18 à 55 ans. Chaque participant a reçu un appareil Android sur lequel une application personnalisée avait été téléchargée. Cette application comprenait un total de 19 tests visant tous à évaluer le rendement du participant dans divers domaines clés, par exemple la vision des couleurs, l’attention, la dextérité et la cognition. Les participants étaient invités à effectuer un test par jour, choisis plus ou moins au hasard, pendant un an. L’application permettait aux usagers de consigner des paramètres sur leur bien-être au quotidien (fatigue et humeur) au cours d’une même période.
Résultats
Parmi les 38 paires de participants admises au début de l’étude, seulement 22 personnes atteintes de SP et 17 cohabitants ont terminé l’étude. Dans le groupe des personnes atteintes de SP, celles qui avaient signalé des troubles de la vue et des troubles cognitifs étaient les plus susceptibles d’abandonner l’étude.
Les données recueillies auprès du reste des participants ont montré la possibilité d’utiliser la technologie des téléphones intelligents en tant qu’outil de recherche. Cette technologie a permis aux chercheurs d’évaluer comment les fluctuations quotidiennes signalées par un participant à l’égard de son bien-être correspondaient aux changements dans son environnement (par exemple la saison, la lumière du jour et la température) grâce à l’analyse des réponses reçues et des données sur la température dont on disposait. Ce type de données est important pour les chercheurs, puisque de nombreuses études ont montré un lien entre les facteurs environnementaux et l’évolution et la gravité de la SP.
Comme les participants répétaient les mêmes tests au cours de la période d’étude, l’équipe de chercheurs a pu établir la courbe d’apprentissage de chaque participant pour chaque test. Les chercheurs ont suggéré que cet effet lié à la pratique (accroissement de la compétence à un test par la répétition) devienne un nouvel indicateur de résultats dans le contexte de la SP (par exemple, au cours d’un essai clinique évaluant le rendement cognitif), étant donné qu’il reflète la capacité d’une personne d’apprendre une nouvelle tâche. Cet effet lié à la pratique est de toute évidence impossible à obtenir lors d’une visite unique en clinique.
L’un des inconvénients de la technologie est ce qu’on appelle en jargon scientifique « le bruit environnemental » – soit des variables liées à la vie quotidienne de l’usager qui ne peuvent être mesurées (par exemple, un participant fait de la course à pied avant d’effectuer son test une journée, mais pas les autres jours). Toutefois, selon les chercheurs, le fait que les participants refassent les mêmes tests à de nombreuses reprises pendant au moins six mois permet d’établir une moyenne de ces variables et de faire taire, d’une certaine façon, ce bruit environnemental.
Commentaires
Le Dr De Jager et son équipe ont présenté de solides données à l’appui de l’utilisation des téléphones intelligents dans le cadre d’études dans un contexte réel. Contrairement aux études classiques menées dans un environnement contrôlé, l’appareil suit le sujet à la maison et permet de recueillir des données dans un milieu plus naturel. Utilisé de cette façon, le téléphone intelligent peut saisir les fluctuations quotidiennes des symptômes et tester le rendement des personnes atteintes de SP, ce qui n’est pas réalisable au cours d’une simple visite en clinique. Il ne s’agit pas de remplacer les méthodes d’étude actuelles par la technologie des téléphones intelligents, mais plutôt d’offrir une stratégie complémentaire en vue de collecter des renseignements additionnels difficiles à obtenir en laboratoire.
Étant donné l’évolution rapide de cette technologie en particulier, les auteurs prévoient que le téléphone intelligent ou son équivalent servira à repérer des changements significatifs dans le rendement au quotidien et à alerter par le fait même l’usager ou le personnel médical concerné de tels changements. Cependant, comme avec tout autre appareil d’enregistrement en continu, la collecte des données soulève des enjeux liés au respect de la vie privée. Les chercheurs reconnaissent que bien que cette technologie représente un outil puissant de recherche médicale, son usage se doit d’être pondéré, en particulier pour ce qui est du respect de la vie privée et de la sécurité.
Source
BOVE, R. et coll. « Evaluating more naturalistic outcome measures: a 1-year smartphone study in multiple sclerosis », Neurol Neuroimmunol Neuroinflamm, 2(6): e162, 2015.