Contexte
La neurodégénérescence qui touche le système nerveux central (cerveau et moelle épinière) est l’une des principales causes d’incapacités chez les personnes atteintes de SP progressive primaire (SPPP). Le perfectionnement des outils et des techniques qui permettent de visualiser et de mesurer ce processus dégénératif constitue par conséquent un volet essentiel de la prise en charge de la SP. En effet, ces outils et ces techniques nous aident à mieux comprendre la neurodégénérescence (ses causes et les raisons pour lesquelles elle entraîne des incapacités), à mieux cerner les traitements possibles et à mieux évaluer l’efficacité de ces derniers.
Les progrès réalisés récemment en matière d’imagerie par résonnance magnétique (IRM) se sont révélés particulièrement utiles pour évaluer la neurodégénérescence associée à la SP. Par exemple, des techniques d’IRM de pointe permettent désormais aux chercheurs et aux cliniciens de déterminer la concentration de certaines substances chimiques dans le cerveau. Ces données jouent un rôle important dans l’étude de la neurodégénérescence, puisque chacune des substances chimiques étudiées fournit des indices sur la santé des neurones. Cela dit, on aurait besoin d’autres méthodes d’évaluation clinique plus sensibles et plus objectives que celles dont on dispose actuellement pour mettre en évidence les mécanismes suivant lesquels les lésions nerveuses provoquent des incapacités. Des chercheurs du Royaume-Uni, au nombre desquels figurent les Drs Olga Ciccarelli et Alan Thompson, viennent de réussir pour la toute première fois à déceler les premiers signes de neurodégénérescence de la moelle épinière chez des personnes atteintes de SPPP en combinant des techniques d’IRM de pointe à des méthodes d’évaluation clinique d’une grande sensibilité. Les résultats de leur étude ont été publiés dans la revue Brain.
Description de l’étude
Les chercheurs ont recruté 21 personnes qui en étaient à peu près aux premiers stades de la SPPP (diagnostic établi moins de 6 ans auparavant) et 24 volontaires sains (personnes qui n’étaient pas atteintes de SP). Ils ont analysé la partie supérieure de la moelle épinière des participants en utilisant d’abord la technique d’IRM classique (qui fournit une image de la moelle épinière), puis deux techniques d’IRM de pointe, la spectroscopie par résonance magnétique et l’imagerie du tenseur de diffusion (analyse dans l’espace q). Ils ont ensuite comparé les résultats obtenus par les deux groupes.
La première technique de pointe, la spectroscopie par résonance magnétique, a servi à mesurer la concentration de diverses substances chimiques dans la moelle épinière. Les données recueillies sur chacune de ces substances ont permis aux chercheurs d’établir un bilan de santé général de cet organe. La seconde technique, l’imagerie du tenseur de diffusion (analyse dans l’espace q), consiste à mesurer la diffusion (c’est-à-dire le mouvement) des molécules d’eau dans la gaine de myéline qui enveloppe les fibres nerveuses de la moelle épinière. En mesurant ce paramètre, il est possible de définir la structure cellulaire de la myéline et de déceler des signes de lésions et de dégénérescence tissulaires.
Par ailleurs, les chercheurs ont comparé les résultats que les participants atteints de SPPP avaient obtenus à ces deux examens d’IRM de pointe à leurs scores d’incapacité. Pour ce faire, ils ont mesuré le degré d’incapacité à l’aide de divers outils. D’une part, ils ont eu recours aux échelles d’évaluation classiques telles que l’échelle élaborée d’incapacités de Kurtzke (ou échelle EDSS). D’autre part, comme leur étude portait essentiellement sur la moelle épinière, ils ont utilisé des échelles moins connues que celles-ci, qui permettent d’évaluer avec une plus grande sensibilité les incapacités attribuables aux lésions de la moelle épinière (évaluations de la force de préhension, de la capacité à maintenir sa posture et de la capacité à percevoir des vibrations).
Résultats
Les chercheurs n’ont pas décelé d’atrophie de la moelle épinière ‒ diminution du volume de la moelle épinière qui dénote une démyélinisation généralisée et (ou) une neurodégénérescence attribuable à une perte tissulaire ‒ chez les personnes qui en étaient aux premiers stades de la SPPP, comparativement aux volontaires sains. Cela dit, les concentrations des substances chimiques à l’étude indiquaient qu’il y avait moins de cellules nerveuses saines dans la moelle épinière des personnes atteintes de SPPP que dans celle des volontaires sains. Les chercheurs ont également observé une augmentation de la diffusion de l’eau chez les sujets atteints de SPPP, qui dénotait la présence de lésions de la myéline et (ou) des fibres nerveuses.
Enfin, au sein du groupe SPPP, les scores d’incapacité les plus élevés tendaient à être associés à une diminution de la concentration des substances chimiques qui témoignent de l’intégrité des cellules nerveuses, ainsi qu’à une augmentation de la diffusion de l’eau dans la moelle épinière.
Commentaires
Les Drs Ciccarelli et Thompson et leur équipe de recherche sont parvenus à démontrer que la moelle épinière des personnes qui en sont aux premiers stades de la SPPP présente des signes manifestes de dégénérescence des cellules nerveuses et (ou) de la myéline, même si elle n’est pas atrophiée. De plus, leur étude a permis d’établir un lien déterminant entre les lésions précoces de la moelle épinière et les incapacités associées à cette maladie. Ils précisent en effet dans leur article que les premiers signes de dégénérescence de la moelle épinière seraient à l’origine de la détérioration de l’état clinique des personnes atteintes de SPPP. Le fait que ces lésions n’ont pu être décelées qu’au moyen de techniques d’IRM de pointe illustre bien la sensibilité de ces techniques et la nécessité de poursuivre les efforts déployés en vue de les perfectionner constamment.
S’ils sont en mesure de déceler les premières altérations minimes de la moelle épinière, les cliniciens seront plus à même de prévenir efficacement la dégénérescence de celle-ci en instaurant le plus tôt possible un traitement neuroprotecteur, comme ceux qui sont actuellement à l’étude ou qui font l’objet d’essais cliniques (voir la description détaillée de ces traitements sur la page Traitements à l’étude). Qui plus est, grâce aux techniques d’IRM de pointe, les chercheurs et les cliniciens disposent désormais de nouvelles méthodes d’évaluation des résultats thérapeutiques, dotées d’un degré de précision qu’on ne pouvait tout simplement pas atteindre auparavant et qui permet de déceler d’infimes altérations de l’état de santé général de la moelle épinière. En somme, l’objectif, c’est d’utiliser ces nouvelles techniques pour combler les lacunes qui existent en matière de traitement et de suivi des deux formes de SP progressive.
Référence
ABDEL-AZIZ, K. et coll. « Evidence for early neurodegeneration in the cervical cord of patients with primary progressive multiple sclerosis », Brain, 2015, 138(Pt 6):1568-82.